Quand le réveil sonne à 6h en imitant avec médiocrité le bruit d’un ruisseau, je réalise que c’est dimanche, qu’il fait encore nuit noire et qu’il pleut à seaux. Je me lève difficilement et me retrouve assis tout seul dans la cuisine froide, auto-hypnotisé par le café qui tourne dans ma tasse. Je tombe donc dans une profonde introspection interrogative : Mais pourquoi je fais ça ? Combien de personnes dans le village sont actuellement levées pour aller faire du vélo dans la boue ? Est-ce qu’il s’agit d’une forme d’autopunition ? Dans ce cas ne serait-il pas plus efficace de faire du VTT torse nu, avec une couronne de ronces autour de la tête ?
Heureusement, un SMS de l’ami Guitou me sort de cette torpeur. Apparemment, il vient d’avoir les mêmes questionnements et m’écrit : « il pleut, qu’est-ce qu’on fait ? ». Mais comme moi j’ai l’option « Friends Translator » sur mon Samsumg, ce qui s’affiche son mon écran c’est : « Je t’en prie Reynald, dis-moi qu’on y va pas. Je ne veux pas assumer tout seul la honte d’un abandon ». Pour bien comprendre son désarroi il faut remonter au repas de l’avant-veille, partagé aux restaurant Les Marionnettes de Douzy comme tous les vendredis ; repas au cours duquel je m’étais déclaré « affuté » pour faire le 65km (devant mon assiette de haricots verts), ce à quoi l’ami Guitou avait répondu «…affuté comme un couteaux à beurre » (devant son américain saucisses sauce andalouse). Au SMS auquel il attendait que je répondes « t’as raison, on va se recoucher ma pauvre chiquette », je rétorque donc : « on se replie sur le 45 ». Réponse sèche et cruelle qu’il perçoit même comme une sorte d’ombrage à l’autorité pourtant incontestée de notre Président.
Je prends la route pour passer chercher Thierry et – bien qu’ayant annoncé 7h30 comme horaire de rendez-vous – je reçois déjà un SMS de sa part à 7h20 : « tu dors ou bien ? ». J’arrive chez lui avec 5 minutes d’avance mais il est déjà en train de faire les 100 pas dans la rue, prêt, vélo chargé, chaud comme une baraque à frites! Le beau Scott semi-rigide qu’on lui prêtait ayant été vendu, il a ressorti de la cave sa veille bique de 26 », ressuscitée de parmi les morts par la baguette magique à souder du Dédé CORDIER. On arrive à faire une heure de route (en empruntant la plus belle vallée ardennaise du monde) en parlant exclusivement, avec une sincère passion et sans jamais s’ennuyer, de nombre de plateaux et de nombre de dents sur les plateaux.
On retrouve Guitou et Cric-Crac Arnaud à Olloy, car on s’était donné rendez-vous à Olloy pour la rando d’Olloy. Il manque le plus gros des troupes du Raid. Le chef est en vacances, Choco est à Mogues, PTR est probablement en train de patrouiller avec son pick-up le long de la frontière entre le Mexique et le Texas, une main sur le volant et un brin de paille entre les dents. Les autres sont retenus par des obligations sportivo-socio-familiales. Même le rider à la gouaille assistée électriquement est absent.
Au moment où nous nous mettons en selles, la pluie cesse de tomber (est-ce vraiment une coïncidence quand on sait que je porte un médaillon en forme de croissant de Lune et que Guitou porte un médaillon en forme de soleil ?). Nous nous lançons sur le 45 à l’assaut des coteaux du Viroin (ça sonne comme un nom de pinard, mais ça se passe au pays des bulles). Alors, le récit topographique de l’itinéraire va être beaucoup moins précis que d’habitude – je m’en excuse – et ceci pour 3 raisons : 1) je n’ai aucun sens de l’orientation 2) je n’ai pas de GPS car je roule toujours avec des mecs qui ont un GPS et 3) mes collègues ne m’ont demandé de « faire le CR » qu’une fois arrivés au ¾ de la rando. Du coup je n’avais pas pris de notes. D’ailleurs, à cause du sifflement du vent dans les oreilles, j’avais initialement entendu : « Reynald, tu feras le cerf ? ». Demande inquiétante car on ne sait pas s’il est question d’une soirée privée entre adultes déguisés en animaux, ou d’un jeux de rôles grandeur nature où mes collègues auraient joué le rôle des chasseurs ?
Le punk anarchiste du groupe, avec ton T-shirt « 26 » IS NOT DEAD », gravi la 1ère côte à la vitesse d’un adolescent qui va à la bête pour la 1ère fois. Arrivé en haut, il se retourne pour nous attendre et on peut lire dans sa barbe : «putain c’est quand même pas possible que je vais me trainer ces 3 grosses barriques jusqu’au bout ». L’orgueil piqué, Cric-Crac Arnaud relève l’appel et faire chauffer l’Habit. C’est là qu’on découvre qu’il est scientifiquement possible de faire couiner un vélo neuf, haut de gamme, en carbone, consciencieusement graissé. « Cric » quand il pousse sur la pédale gauche ; « Crac » quand il pousse sur la pédale droite. Où l’inverse, je ne sais plus puisque je vous dit que je n’ai pas pris de notes !!! Le vélo de Cric-Crac Arnaud apporte donc de nouvelles fonctionnalités intéressantes : La localisation améliorée en cas d’avalanche (si la victime continue de pédaler…) et l’indicateur sonore d’approche. Tu peux savoir où se trouve l’adversaire et à quelle vitesse il pédale. Quand tu entends « KRICKRAKKRIKRAKKRIKRAK !!!!! » derrière toi, il est temps de se mettre en danseuse.
Le tracé passe d’un coteau du Virion à l’autre dans des paysages agréables et variés. Très peu de chemins roulants et de routes. A la seconde côte, « 29 » NO FUTURE » allume les boosters à poudre et nous met 4 minutes dans la vue. CCA (Cric Crac Arnaud) et moi essayons de le suivre et donc le rythme du groupe s’emballe. Guitou, à moitié sur orbite, a les yeux qui sortent de la tête. Il menace de se rabattre sur le 35 au 1er ravito si on ne baisse pas la moyenne. Très attachés aux valeurs du club et à la cohésion de groupe, nous ralentissons au moins de 0,25 km/h. Le ravito est sympa. Sous une grange une grande table fait l’étalage de boites en plastiques ordonnancées comme les outils au-dessus de l’établi d’un retraité de la SNCF. Il y a beaucoup de choix. Les petits gâteaux ronds au chocolat sont très bons. Au bout de 1h30 de petits gâteaux ronds au chocolat on se décide à repartir et l’enchaînement de chemins et paysages est encore très intéressant. Sur un single herbeux parsemé de pierres lisses un belge ripe et s’exclame : « Oufti ! ». Ça nous fera le reste de la journée… Comme le côté droit du single est délimité par une clôture barbelée, un bienveillant père de famille qui suit son minot lui crie un conseil technique : « surtout si tu tombes, tombes à gauche hein ! ».
On traverse un plateau par des chemins champêtre où Thierry passe à deux doigts du back-flip. Au passage d’un ruisseau CCA glisse sur le petit pont de bois et échappe, agile comme un couguar, à la baignade. Puis on attaque une descente vertigineuse tout en glissade de la roue arrière sur les feuilles mortes. Les passages de cols se succèdent et le punk nous met à chaque fois la misère. Comme quoi, la taille des roues joue plus sur le moral que sur la capacité cardiovasculaire….Mais à force d’enchaîner les phases de sprint-pause-sprint-pause-sprint-pause…. une demi-livre d’acide lactique s’est accumulée dans chacune de ses guiboles et il commence à en baver. Sur une interminable voie romaine caillasseuse et pentue j’arrive à l’avoir à l’usure, avec mon gros diesel coupleux. Nous nous engageons sur le chemin du retour quand le déluge s’abat sur nous. Un mec avec une longue barbe rassemble des animaux dans un grand bateau. Il pleut tellement qu’on plisse les yeux pour essayer d’y voir, et on met la bouche en cul de poule pour ne pas nous noyer en roulant. On explose la moyenne pour rentrer le plus vite possible. Pensant avoir CCA dans ma roue arrière je donne tout ce qu’il me reste sur les derniers Km. Je loupe un virage et tire tout droit jusqu’au bord du Virion. C’est là que je m’aperçois qu’en fait j’étais entrain de servir de lièvre à un gamin en hard-tail (de l’anglais « hard » : dur et « Tail » : queue, qui désigne un vélo semi-rigide, et non pas du tout la qualité de l’érection du dit jeune homme). La pluie se calme. Son onction a miraculeusement fait taire les grincements du vélo d’Arnaud. La forêt a retrouvé son calme. L’écureuil ressort timidement de sa cachette. La biche secoue les oreilles et se remet à brouter. Une goutte d’eau perle de la toile d’araignée et tombe dans une flaque au moment précis où nous passons la ligne d’arrivée. Trempés comme des soupes, pain saucisse à la main, nous entrons dans la petite salle des fêtes bondée. Il y a de la boue au sol et de la buée aux fenêtres. ça parle fort et ça rigole comme dans une taverne de film de Vikings. On s’assoie pour refaire la course en buvant des galopins de Chimay. Une tournée pour la soif, une tournée pour arroser le vélo de CCA. Sur la table, des dizaines de flyers nous invitent à de futures aventures. Voilà. Voilà pourquoi je me lève le dimanche matin dans la nuit et la pluie.