VERSION COURTE :
On était partis sur le 78 mais j’ai cassé une pédale au 25ème km. Les autres ont presque tous fini.
VERSION INTEGRALE :
Au commencement des temps vélocipédiques, il était 5 randonnées sacrées qu’un vrai vététiste pointe-ardennais se devait d’accomplir annuellement : le Roc Latour (à Monthermé), les Scailleteux (à Fumay), les Pansards (à Couvin), La Viroinvalloise (à Oignies) et la randonnée des coteaux du Viroin (à Olloy). Mais de guerres fratricides en pénuries de bénévoles, des 5 randonnées il ne resta très vite que les 3 dernières, organisées par nos cousins Belges (car en plus de sauver de la ruine les châteaux et veilles demeures de France, ils sauvent aussi nos sentiers menacés par les ronces).
En cette saison 2017, la participation aux Pansards avait déjà été accomplie avec bravoure. Il était temps désormais d’affronter les 78km/2300m D+ de la randonnée de Oignies pour ajouter une croix à notre bâton de pèlerin, et travailler l’endurance de fond avant les grands déplacements de l’été.
Robert Chocolat (qui se fait appeler ChocoBob dans le milieu), Arnaud, Guitou et moi avions signé pour en c**** (Arnaud avait même signé un peu plus que nous…), mais je pense que seuls Guitou et moi (Reynald) étions vraiment conscients de la portée mystique de cette randonnée en terres saintes. J’avais même – en ce qui me concerne – fait le déplacement la veille au soir pour passer la nuit à Haybes et ainsi communier avec les forces telluriques de la vallée.
Robert Chocolat ayant exigé un départ à 7h30, c’est à 7h30 précises que je retrouve l’ami Guitou au garde à vous devant le container à verre, déjà casqué et ganté. Seul. Aux inscriptions je reçois la plaque N°22, soit environ 300 places plus tôt que d’habitude… A l’annonce du kilométrage que je souhaite accomplir, « septante huit » , l’organisateur me remet d’un air grave et compatissant une dosette de gel énergétique. Nos regards se croisent. Il reste silencieux. J’ai un peu peur.
Les voitures commencent à arriver de toutes parts et je remarque qu’à cette heure là, les riders n’ont absolument pas le même indice de masse corporelle que moi (moi j’ai plutôt un IMC de mec qui décolle vers 9h…) Mais qu’à cela ne tienne ! Le sport est un perpétuel combat contre ses propres limites et les limites les plus fortes sont celles de l’esprit. L’arrivée de nos deux compères, avec un bon quart d’heure de retard, ne me laisse pas le temps de douter de mes capacités. Retard que Guitou ne manque pas de faire remarquer avec sarcasmes car lui s’est levé à 5h, malgré les travaux de construction du portail anti-zombies radioactifs qui l’ont occupé la veille jusqu’à tard le soir.
Choco explique qu’il a omis de prévoir le temps d’installation du vélo d’Arnaud sur sa voiture dans le temps de trajet total. C’est un peu comme si Actarus pensait au « transfert » mais oubliait l’ « auto largue » au moment où il faut faire sortir Goldorak de sa soucoupe volante pour péter la gueule au Golgoth. C’est décevant. Très décevant.
Au moment où l’on croit partir enfin Arnaud exprime le besoin naturel et matinal d’alléger son organisme ; mais ne trouvant de papier ni chez les hommes ni chez les femmes, il revient avec son envie sous le bras et nous prenons ainsi le départ. Dans les 10 premiers kilomètres, absolument TOUT est prétexte pour permettre à Guitou de râler.
«- Il fait frais quand même.
-Oui ben moi je vous ai attendus 15 minutes »,
«- Tes freins grincent.
– moi au moins j’étais à l’heure » ,
« – La boue ça glisse.
– 7h30 qui z’avaient dit ! »
Arnaud quant à lui est plutôt obsédé par la recherche d’une solution. Comme un toxicomane en pleine crise il demande frénétiquement à toutes les personnes qu’il croise : « du papier ? du papier ? vous avez du papier ? »
Le début du parcours empreinte les bocages et villages en prenant progressivement de l’altitude. A chaque arrêt, Arnaud passe en revue la taille des feuilles des arbres qui nous entourent. Compte tenu du gabarit du Hockeyeur c’est logiquement de la feuille de bananier qu’il faudrait, mais malgré les efforts personnels de Donald Trump, le réchauffement climatique n’est pas encore suffisant pour que prolifèrent ici ce genre d’herbes. Et oui amis biologistes ! le bananier fait partite de la famille des herbacées et non des arbres, tout comme l’orvet est un lézard sans patte et non pas un serpent. Mais là on s’éloigne quand même vachement du sujet.
Nous traversons de très jolis sentiers en sous-bois, baignés de lumière et bordées de hautes herbes. On arrive très vite au 1er ravitaillement où Arnaud nous demande s’il est recommandé dans son cas de manger des pruneaux ? Choco explose de rire tout en buvant sa citronnade.
Sur un chemin sans pierre ni épine, Guitou crève mystérieusement du pneu avant. Choco lui rappelle rapidement l’histoire du quart d’heure de retard au départ…C’est normal. C’est de bonne guerre. Alors qu’on entame le dépannage sur le bas coté, une farandole de visages connus nous dépassent et nous saluent. Dans le désordre (parce que ça m’arrange pour le récit) on voit défiler : mon beau frère Thierry « laquette de Renwez » qui arrive comme une flèche et repart comme un éclair, son altesse Philipe Rolin accompagné de Fred Deg, puis deux vététistes électrifiés qui portent le même maillot que nous. Seulement 50% de ce duo nous salue, l’autre moitié fait du boudin, comme Arnaud d’ailleurs qui est parti comme un chevreuil dans les buissons (son altesse Philipe avait prévu des mouchoirs en papier dans son attirail de survie). Quand Arnaud revient avec un sourire de béatitude, Guitou se brûle la main avec le froid de la cartouche de CO2 au moment de regonfler. Dans la douleur il hurle : « P.V = nRT !!!! », qui s’avère être la Loi physique décrivant la variation de température des fluides quand ils changent de pression.
La troupe renforcée des deux VAE reprend le chemin, mais dès le croisement suivant Cacal se perd dans la jungle. On emprunte le petit single un peu technique qui longe le ruisseau et bientôt c’est la terre promise qui est à la portée de nos crampons. La France ! L’Ardenne !
Dès la frontière passée les merles et les grillons chantent sans accent. Nous mettons en fuite un couple de licornes qui va se cacher derrière la cascade sous une envolée de flamands roses. Guitou et moi cueillons un brin d’herbe sacrée pour l’embrasser et nous signer le front (ça on l’a vraiment fait. Le reste est un peu exagéré). On gagne très vite la ligne de crête qu’on longe ensuite en direction de Fumay. Ce faisant on roule sur la limite entre le plateau de la Thiérache et les profondes vallées de l’Ardenne. Comme l’année passée je devine que c’est Haybes qu’on aperçoit en contre bas mais je n’ose pas trop regarder car ça me fait trop d’émotion dans mes yeux et après je risque de tomber dans le pierrier. On attaque la descente vers la vallée. Guitou et Arnaud passent comme des as. Choco est responsable d’un embouteillage considérable ! Les plus téméraires et frustrés le doublent en klaxonnant du gosier. Le single débouche au niveau du Charliz, ancienne discothèque où Guitou déclare avoir pris une murge à chacune de ces deux visites. Mais ça, c’était au siècle dernier.
Quelques mètres d’asphalte (dans la vallée on appelle ça du MACADAM), à peine de quoi nous remettre de nos émotions, et on attaque l’ascension de l’autre versant par le chemin de la chapelle de Divermont. On enchaîne avec l’ardoisière bien pentue située en face de l’hôtel des Roches et on passe au dessus du quartier du Charnois par le chemin à flanc de colline qui traverse une agréable chênaie. Au 2ème ravitaillement beaucoup de monde et d’ambiance. Je remplis ma gourde et je vide ma vessie (mais pas en même temps), on mange quelques bricoles et on repart assez vite pour avoir une chance d’arriver avant la nuit. Le soleil est déjà haut dans le ciel et on a fait qu’un quart de la distance et du dénivelé. Après avoir traversé le bois du clos Roland on se retrouve sur la route de Rocroi. Guitou m’indique le parking sur lequel il allait garer sa voiture la nuit avec « la grande » au temps jadis. Nous contournons le portail qui barre l’accès à l’ancienne décharge. Je me dis un instant que ce serait peut être l’occasion d’y laisser mon vieux Camber car il commence à être rayé comme un 45 tours de Chantal Goya dans un mange-disque. Mais ça, c’était juste avant le drame…
La rando ne passe bien évidemment pas dans la décharge mais bifurque avant sur un magnifique single en devers que je ne connaissais pas. J’éprouve une étrange difficulté à clipser la chaussure droite. J’essaye de ne pas y penser et j’accélère pour essayer de recoller à la troupe. Ma sensation de pédalage perd de plus en plus en fluidité et en rondeur. Je m’arrête pour jeter un coup d’œil et – horreur – abomination – je constate que la pédale de droite est sortie de l’axe sur 5 cm. Guitou, mon frère de Bungalow, s’est arrêté avec moi. On se regarde sans rien dire mais on a compris tous les deux que c’est extrêmement grave. On fait un peu semblant qu’on va essayer de réparer quand même. Pour cela Guitou a une trousse à outils extrêmement complète car il a même des outils pour dépanner les outils en panne. Une fois la clé à molette dégrippée il dévisse l’écrou de la pédale et je vois les billes du roulement qui restent collées en vrac sur l’axe…comme les chicots d’un vieillard qui tomberaient dans un filet de bave. Guitou me regarde embarrassé et me dit : « eeeh…comment te dire….. ». J’ai compris. Cette fois il faut se rendre à l’évidence : pour moi le pèlerinage s’arrête là. Je rentre par la route, la pédale dans la poche et la queue entre les jambes. Mais avant cela j’ai transmis ma plume, mon encrier et mon parchemin à ceux qui continuent…
Et qui se retrouve avec l’encrier et le papyrus malgré des tractations menées de longue date pour se libérer du kit de calligraphie ? Hé bin c’est Robert de la confrérie du Groquik. Qui se souviendra dans un siècle de l’origine historique du dicton suivant né un 4 juin d’une pédale désaxée et d’un calame ramolli par l’encre : quand l’un perd la pédale l’autre hérite de la plume ? Il est temps de revenir à nos moutons égarés. Après une longue descente je retrouve Arnaud assis sur un banc. Les minutes passent mais point de Guitou point de Reynald. L’inquiétude nous envahit. Un participant nous informe que suite à une chute apparemment sans bobo notre paire locale a pris du retard. Enfin la quette de R’vin pointe le bout de son promontoire nasal. Il nous communique la version relatée au paragraphe précédent. Nous remontons en selle. Durant un moment de répit sur la voie verte Guitou se transforme en GPS nous annonçant les différentes options de la suite. Ce qui est certain c’est que ça va monter. La trace la plus redoutée par notre homme-Garmin du jour se révèle être celle retenue par l’organisation. Il faut dire que notre élu à la plume administrative du Raid s’est plus avalé de houblon que de km depuis plusieurs semaines. Nous montons donc sur les hauteurs de Revin durant 6 Km pour nous mettre sous la calle plus de 300 mètres de D+. J’en profite pour me tirer la bourre avec 2 VTTistes semi-rigides à l’accent que notre conteur de l’an passé aurait pu qualifier de guttural. Durant la dizaine de minute pour attendre mes 2 camarades je mène un combat acharné contre des bestioles volantes aux gènes draculaesques. A son arrivée Guitou grince des dents contre ses roulements. Après un bain d’huile les billes roulent comme dans du beurre.
Guitou et Arnaud s’échappent rapidement de mon champ de vison dès l’entrée dans le long single en descente technique plongeant de la face du Malgré-Tout au pont de Revin. Je les retrouve la popo’ulu en bouche même si pour Arnaud nous aurions pu nous attendre à un autre orifice. Nous tournons à gauche en fin de pont. Je reconnais ce passage emprunté lors de la rando de Fumay. A défaut de me voir pousser des ailes les jambes m’en tombent ne serait-ce que de me replonger dans mes souvenirs. Comment ne pas grimacer devant un début entre 15 et 17% sur 200 mètres ? Comment ne pas mettre pied à terre à mi-pente lorsqu’il faut salooner entre des pavés aussi gros que des boules de bowling ? La suite en 7et 10% paraît presque roulante. C’est l’hécatombe. Il faut se frayer un passage au milieu des participants épuisés. Je tiens bon. Arrivé au sommet je profite du 3ème ravito. Arnaud arrive quelques minutes plus tard. Quant à Guitou il me rend mon quart d’heure de retard. La délégation du Raid est saluée et remerciée par l’organisation. Elle nous apprend aussi que la boucle du 78 commence par une superbe descente avant de réemprunter la muraille que nous venons de gravir. Nous sommes proche de l’évanouissement à l’idée d’escalader une 2de fois ces 3,750 Km riches de leurs 230 mètres de D+. Je finis par accepter le défi. Guitou et Arnaud préfère le répit et le seating en attendant mon retour.
Le chemin large devint mono trace. Si la descente à flanc de colline est acceptable elle n’en est pas moins technique. Les pièges se succèdent. Je frôle la mort à deux reprises en ayant plus gros cintre que d’espace. J’arrive finalement vivant au pied de la montée. Je prends en point de mire un groupe de VTTiste à l’arrêt à 50 mètres du départ. Je viens volontairement m’y empaler. Il est toujours plus facile de déchausser pour poursuivre à pied avec une excuse même bidon. Je remonte en selle rapidement, déconnecte les 2, 25 neurones restants, et appuie sur les pédales comme un benêt. La pluie s’invite. Après quelques gouttes rafraîchissantes c’est l’averse revinoise ! Si je termine épuisé je suis ravi d’avoir défendu les couleurs du Raid. Je retrouve mes 2 compères planqués sous des arbres les fesses faisant bravo et les dents claquant sous l’effet du froid et de l’humidité. Transis de froid leur remontée sur les pédales ressemble plus à une représentation de Mario et Pipo. La descente les remet à température. Le profil s’inverse. Bien qu’Arnaud exprime son épuisement il file devant. Je le suis un moment avant d’apporter mon soutien à Guitou. Ses cuisses causent en morse. Il leur répond dans un choix lexical que je peux rapporter. Lorsque le parcours devient plat nous nous confrontons à une roue arrière aussi directionnelle que celle avant tant la pluie a rendu le sol gras et savonneux. Nous nous arrêtons pour venir en aide à un biker flamand à la rechercher d’une chambre à air. Saint-Arnaud sort son caoutchouc dans un échange franco / flamand digne d’un dialogue de Shadoks. Conscient du dialogue de sourd Arnaud s’exprime en anglais. Les Shadoks se transforment en muppets show notre belge du nord ne maîtrisant point la langue de William.
Nous arrivons à un goudron. Vu l’état des chemins nous coupons les 3 derniers Km pour rejoindre directement l’arrivée. Nous mettons des vêtements propres puis savourons un pain saucisse. Avant de reprendre la route nous allumons un cierge à la mémoire de Reynald.
Bravo aux deux co-auteurs. Un mention spéciale pour Reynald dont la plume est plus efficiente que sa pédale.
Merci au duo d’écrivains pour cette prose rigolote et tellement proche de la réalité
Du grand Reynald. Du Mozart. Une quête en sommes.
Super CR quelle classe. On a bien rigolé. Juste une question : avez vous rencontre Arduina ? À bientôt. Thierry Catherine
Trop fort!! grave la parlotte! je kiffe !! se serait exprimé un d’jeune de nos jours! N’étant pas de ce siècle, je vous congratule tout d’abord pour avoir commencé/fini ce parcours on ne peut plus physique, et je vous tire mon chapeau, mes amis raidars pour ce récit épique de votre bande de gais lurons,… à pédales ou sans 😉
A la revoyure