Parcouru à six cuisses et rédigé à dix mains

Ce week-end les raidars avaient rendez-vous avec leur destin. Durant deux jours ils allaient se confronter à la haute montagne. Depuis longtemps cette échéance était inscrite sur les agendas et dans les esprits de Catherine, Thierry, Stéphane et Laurent. Un peu moins longtemps pour Sébastien décidé à rejoindre le groupe après une soirée finie autour d’une bouteille de rhum népalais.  L’histoire ne dira jamais si c’est le rhum ou le Népal qui pesa dans la balance. Après l’accident de Catherine aux 24h00 de Cergy, Thierry et elle décidèrent tout de même d’accompagner les trois raidars décidés à affronter les sommets mythiques comme le Galibier ou le Lautaret pour ne citer que les plus connus et sans doute pas les plus faciles. L’Ultra Raid de la Meije 117kms que les plus valeureux couvriront en un peu plus de onze heures et que nos ardennais aux jambes de feu ont l’intention de faire en deux étapes, conscients de leurs limites.

Rien de particulier durant le voyage si ce n’est la pression qui monte doucement et la décision prise de couper les quinze premiers kilomètres et mille-cinq-cents mètres de dénivelé positif en partant directement du col de Galibier. Sur place les inscriptions se font rapidement après vérification par les organisateurs des sacs devant contenir sifflet, couverture de survie, bande élastique, veste à membrane, vêtements chauds, nourriture, nécessaire de réparation et téléphone chargé avec les numéros de l’organisation. Avec leur sac sur le dos nos raidars resemblent à des ChocoBob. Le discours des organisateurs est clair :  » Vous serez au milieu de nulle part. Vous devrez pouvoir palier à tout problème.  En cas de blessure grave seul un hélicoptère pourra venir vous chercher ! « . Les formalités accomplies les raidars gagnent l’appartement dont les fenêtres et les balcons s’ouvrent sur le glacier de la Meije culminant à 3200 m. La Grave se trouvant déjà à 1500 m. En attendant le briefing obligatoire prévu à 19h00, il est nécessaire de se réhydrater. Un gîte-bar à proximité fait l’affaire. Le maître des lieux rentre à peine du Cabaret Vert. Il est élogieux sur les Ardennes. Sort le saucisson et refuse le paiement de la tournée. Il faudra toute la force de persuasion de Stéphane pour lui laisser dix euros. Lors du briefing les consignes de prudence et respect de l’environnement sont rappelées. Après un repas frugal Hypnos appelle rapidement les raidars dans ses bras sans doute un peu plus velus et moins agréables que ceux de sa fille.

La douce mélopée du réveil de Sébastien tire rapidement les guerriers d’un sommeil de Juste. Rapidement préparés les voilà prêts à affronter l’ogre qui les attend depuis un an. Alors que Thierry et Catherine conduisent Stéphane, Sebastien et Laurent au col du Galibier, ces vers de William Ernest Henley doivent trotter dans leur tête :  » Aussi étroit soit le chemin, nombreux les châtiments infâmes, je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme.  » Avant de se lancer réellement dans l’aventure les raidars rendent un hommage à Monsieur le Comte dont la présence est palpable, en ornant une branche d’un morceau de son coupe-vent. Le moment est intense ! Il rêvait tant de se confronter à ces chemins… 

Cette fois le moment est venu d’affronter ses démons.  Émargement signé, puce activée, il faut y aller. Les 6 degrés n’aident pas à se jeter dans la pente. La première impression est claire : les Ardennes sont loin. C’est technique, raide et rocheux. Chacun gère avec son niveau et ses moyens du moment. Il est clair qu’ils ne s’attendaient pas à ça. Le paysage est minéral les chemins cassants et l’erreur interdite. La descente est longue après presque une heure la pente s’inverse. Même Seb dira c’était chaud. Après quelques kilomètres relativement faciles les raidars sont dans le dur.  Comme le disait le regretté Bigard c’est au pied du mur qu’on voit le mieux le mur. Et là il est énorme ! C’est le vélo sur le dos qu’il faut franchir une portion ultra raide (qui ne sera qu’une parmis tant d’autres). Qu’il est doux le temps où les crampons de nos raidars marquaient de leur empreinte le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Le chemin traverse le plan de Lachat qui n’a de plan que le nom. Thierry et Catherine sont là pour encourager les raidars déjà physiquement bien entamés après seulement  une descente et trois kilomètres de montée. La température a pris 20 degrés en deux heures et 10 kilomètres. Le ravitaillement est proche. Enfin aussi proche que peu paraître un mirage dans le désert. Enfin une pause, un peu d’eau fraîche et quelques victuailles. Le raidar est un animal du nord et dès que la température monte il doit se découvrir. Catherine te Thierry repartent avec les vêtements chauds troqués contre des tenues plus légères. Le blouson chaud reste dans le sac faisant partie de l’équipement obligatoire. Le chemin est encore long et il faut repartir rapidement sous peine d’être mis hors course. Cette fois c’est la haute montagne non seulement par l’altitude mais aussi  par l’éloignement et le dénuement le plus complet. Ici pas de route, d’animaux ou même de végétation. Tout n’est que minéral. La piste se transforme en  sentier, le sentier en sente et la sente en soupçon de trace. Les jalonnettes  roses marquent de loin en loin l’espoir des vététistes, transformés trop souvent en marcheurs, de rejoindre l’arrivée. Le col de la Ponsonnière franchit après plus d’une heure quarante-cinq d’ascension, le chemin descend,  vers le deuxième ravitaillement. La trace est pierreuse, piégeuse et demande une attention de chaque instant. Stéphane et Seb s’envolent après  que Laurent leur ait dit de continuer sans lui s’ils voulaient franchir la dernière barrière horaire. Ce ravitaillement est rustique avec l’eau puisée directement dans la rivière. Au moment où ils reprennent leur chemin. Seb et Stéphane aperçoivent au loin la silhouette du président parée du tartan des raidars. Pas le temps de l’attendre le temps presse. Le parcours est presque plat dans ce secteur mais n’en reste pas moins difficile tracé à flanc de montagne. La moindre erreur peut être fatale, un vide de plus de cent cinquante mètres s’ouvrant sur la gauche à quelques centimètres des roues. Le paysage est superbe mais l’attention nécessaire à rester sur le chemin ne permet que peu de l’admirer. Ce chemin se termine par une descente en lacets de toute beauté au milieu d’un bois de résineux. Les épingles sont nombreuses et toutes magnifiquement tracées permettant des passages tout en douceur. Le bas de cette descente se trouvent au pied du Lautaret qu’il va falloir gravir. C’est long, pas très raide (en rapport à ce qui a été déjà gravi) mais usant. Au Lautaret les organisateurs ont installé un point d’eau supplémentaire la chaleur étant vraiment  importante. Laurent décide de quitter le périple ici et de rentrer par la route. Conseiller par les organisateurs il rentrera à La Grave par un sentier longeant la route. C’est ludique et descendant : que du plaisir. A partir de Villar d’Arène c’est la route qui le ménera à l’arrivée. Stéphane et Sébastien continuent sur la trace officielle. La partie qui suit est la plus ludique : un sentier sillonnant à travers un bois de sapin. Lors de la traversée de l’alpage Sébastien se sent un peu comme  le nomade perdu au milieu du désert apercevant deux rapaces tournoyant au dessus de sa tête. Quelque chose ne colle pas car ceux-ci ont le cul qui clignotent… Afin d’éviter une nouvelle ascension les organisateurs ont fait ouvrir un tunnel de près de quatre kilomètres permettant de faire passer l’eau et la fibre optique de village en village. La traversée du tunnel est épique. Stéphane a une lampe dans une main batterie dans l’autre. Le passage est lugubre à chaque instant Nosferatu peut surgir de nulle part et emporter dans la nuit éternelle le vététiste un peu fragile psychologiquement. Trente minutes dans le noir par cinq degrés avec les infiltrations qui coulent en permanence sur la tête marque pour toujours celui qui a vécu celà. Enfin la lumière du jour pointe au bout du tunnel. A peine sorti le terrain monte de nouveau. Au sommet se trouve le dernier ravitaillement. Les concurrents sont accueillis par les  encouragements des organisateurs à grand renfort de clarines de toupins et de sonnailles. La descente qui suit est une nouvelle fois très dangereuse tracée sur les rochers et couverte de cailloux roulant sous les pneus. La fermeture de la barrière horaire du Pied du Col est proche. Sébastien décide néanmoins d’attendre Stéphane usé et en délicatesse dans les rochers. Thierry et Catherine sont positionnés à quelques centaines de mètres de cette barrière. Les apercevant et sachant Stéphane en sécurité, Sébastien fonce vers le point de passage mais la barrière est fermée depuis dix minutes. Les organisateurs lui retirent la plaque ainsi que celle de Stéphane qui l’a rejoint. C’est dépités qu’ils regagneront La Grave par la route. La soirée est joyeuse autour de la table, Sébastien, Stéphane et Laurent ayant la conviction d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel.


Cette fois les raidars prennent le départ de la Grave. Ils savent que de nouveau la journée va être longue. Plus encore pour Sébastien décidé à finir les cinquante kilomètres après sa frustration d’avoir été arrêté à la dernière barrière horaire pour dix minutes alors que Stéphane et Laurent envisagent de schunter une partie et se contenter de 35 kilomètres. Le départ est donné à 8h00 précise.  D’entrée de jeu ça grimpe fort et longtemps. Les organisateurs diront 4 kilomètres à 16% de moyenne. Sébastien part dans le groupe alors que les deux autres raidars ferment la marche. A peine sortis du village c’est une longue procession de vététistes poussant leur vélo. Les VTTAE sont comme les autres à côté de leur machine. L’effort est trop violent pour les deux vieux raidars encore perclus de douleurs dus aux efforts de la veille. Laurent parvient à motiver Stéphane à monter jusqu’au village des Terrasses sans casser la figure aux serre-files qui voulaient lui prendre sa plaque. Thierry et Catherine retrouvent nos deux raidars exténués dans le village. Ces derniers prendront le chemin en sens inverse pour savourer la vue et le plaisir d’une descente « facile ».
Pour Sébastien la montée est loin d’être finie. Après le village le chemin s’élève encore de quelques centaines de mètres avant de plonger vers le Chazelet. Apres avoir longé une pature le chemin s’élève de nouveau pour atteindre le premier ravitaillement. Aussi après ça continu à grimper jusqu’à 2350m avec un portage. S’en suit une descente rapide et technique de près de 10 kilomètres pour finir dans le village de La Besse par des pavés et des marches. Après le ravitaillement une nouvelle montée de 15 kilomètres et 900m de d+ entrecoupés d’un ravitaillement. Il ne reste plus qu’à descendre vers La Grave. Mais la descente est longue et en lacets. Les bénévoles nous annoncent à plusieurs reprises que la dernière portion est très dangereuse. Un des organisateurs annonce même qu’il faut aller brûler un cierge si la descente est faite sur le vélo. Sébastien passe tout sans poser le pied. Le parcours longe la rivière avant d’imposer une montée par des marches pour rejoindre la ligne d’arrivée. Le reste des raidars est là pour l’encourager dans ce dernier effort conscients de ce qu’il vient d’accomplir est exceptionnel. Si la fatigue et la lassitude se lit sur le visage c’est une lueur de satisfaction qui luit au fond de ses yeux. Le mot de conclusion lui reviendra bien évidement :  » C’est un truc de fou ! « 

C’est une soirée conviviale, accompagnée de plusieurs boissons, de plats locaux et de force anecdotes qui clôt cette belle aventure.

Sans doute beaucoup de choses ont été oubliées dans ce récit mais une chose est sûre : nos raidars ont beaucoup appris de ces deux jours et ont a jamais un mot gravé au fond de leur être : humilité.

Au delà de l’expérience sportive et humaine ce qui restera dans l’esprit de chacun ce sont les discussions avec les autochtones et indigènes. Confrontés chaque jour à la nature ils nous ont alarmés sur le devenir des glaciers (dans moins de quinze ans le glacier de la Meije aura disparu) et au-delà de l’espèce humaine. Nous avons pris en plein visage la réalité du réchauffement climatique et de l’extinction de la vie humaine sur terre. S’il est encore temps nous devons nous mobiliser pour changer cet état de fait.

7 thoughts on “Parcouru à six cuisses et rédigé à dix mains

  1. Spaderman

    Peu enclin à laisser des commentaires sur les articles que j’ai rédigé. Celui-ci ayant été rédigé à plusieurs je me permets de donner mon impression sur cette sortie qui pendant longtemps encore restera MON aventure VTT.
    Jamais je n’inciterai quelqu’un à faire l’URLM. Ce doit être une aventure murement réfléchi car il ne s’agit plus de VTT mais d’une lutte de chaque instant face au dénivelé (c’est parfois hyper raide au point que même les VTTAE ne peuvent pas monter), à la technicité des descente (j’ai eu peur parfois et suis descendu à pieds), à la longueur des efforts (deux heures de montée), à l’omniprésence du vide, la minéralité du terrain, l’absence de civilation qui fait qu’on n’a pas le droit à l’erreur, etc…
    Jamais je ne me suis demandé ce que je faisais là. Jamais je ne me suis énervé. Jamais je n’ai regretté d’être là.
    J’ai voulu y être, j’y étais. Je savais que ca serait difficile, ça l’était. Je savais que ce ne serait pas une partie de plaisir, je n’en ai pas pris beaucoup. Je savais que ce serait dur physiquement, j’ai souffert… souvent.
    Mais c’était au delà de tout cela… Je prend la sortie la plus difficile que j’ai fait et je la multiplie par dix et cela approche mon URLM. Et pourtant c’était bien !
    Difficile de comprendre car on est dans une aventure intérieure plus que sportive.
    Je vais conclure par une phrase que Seb vient de me dire il y a quelques minutes au téléphone :  » J’ai du mal à revenir sur terre ! « 

  2. LEBEGUE STEPHANE

    Pour ma part je dirais magnifique par le prix de l’effort, des douleurs ,magnifique par l’esprit d’équipe, de partage et Philippe était avec nous
    Une nature somptueuse mais dangereuse,la haute montagne ce n’est pas une rando comme les autres,mais quel plaisir partagé avec l’équipe
    Un grand merci à Catherine et Thierry pour leur soutien et assistance ,merci à mes compagnons de rando de m’avoir permis de rendre hommage à mon pote comme on l’avait prévu, ça sera pour moi une expérience enrichissante sur le plan sportif et amicale ,un vrai partage de sensations et d’humilité

  3. Cyril

    Je crois, même en lisant la grandeur de la difficulté, que l’on ne se rend pas compte de l’effort et des sensations procurées par les lieux.
    Bravo à tous pour cette aventure ! Chapeau à tous !!!

  4. Fabrice

    Bravo aux Raidars participants à cette épreuve hors norme et respect. Sachant comment tu roules Laurent, j’imagine la difficulté extrême d’un parcours auquel je n’imagine même pas me frotter. Ayant goûté à la MB Race en mode « facile », j’entrevois ce que peut être un tel Raid en haute montagne, un truc de dingue.

  5. Spaderman

    J’adore la photo de Stéphane et Sébastien en pleine discussion avant le départ devant l’immensité de la nature.
    Cela reflète réellement comment je me suis senti petit face à ces sommets majestueux, à cette trace belle et exigeante…

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